Nous arrivons enfin à l’hôtel. Il était temps : il m’a fallu un effort de dingue pour contrôler mes sens. Jamais un homme ne m’a autant affriolée et je ne sais toujours pas si je peux aller plus loin avec lui.
Je retire mon imperméable dégoulinant, le secoue pour chasser le trop-plein d’eau et glisse mes doigts dans ma chevelure brune pour la discipliner un peu. Thomas fait de même, sa chemise collée à sa peau le transforme en une statue grecque bien trop habillée à mon goût.
La réceptionniste nous accueille avec un beau sourire. Nous nous connaissons : Sabine est une des électrices à qui j’ai rendu service lorsqu’elle est venue pleurer dans le giron de ma patronne. Elle regarde mon ange noir et son visage s’éclaire. Il faut dire qu’il ne passe pas inaperçu, sa stature en impose et sa façon d’avancer vers elle démontre une totale confiance en lui. Ou bien ce sont ses vêtements trempés qui la rendent toute liquide.
Il se penche au-dessus du comptoir.
— Bonjour. Je suis Thomas Bastin, Antoine Le Mer a réservé une chambre pour moi.
Sabine rougit sous le sourire enjôleur. Elle le regarde comme s’il était la star du siècle puis me jette un coup d’œil, surprise. Je pense qu’elle cherche à comprendre ce que je fais avec lui.
— Bonjour Sabine. Monsieur est tombé en panne de voiture juste devant la permanence. Pas de chance, hein ?
— Bonjour Ariane. Heureusement que tu te trouvais sur son chemin, dit-elle sur un ton pointu, espérant que je lui en raconte plus, probablement.
Il se retourne brusquement et me dévisage comme s’il me voyait pour la première fois. Il secoue sa tête, les yeux incrédules. Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Qu’est-ce que j’ai dit ?
— Vous vous appelez Ariane ?
Je hausse mes sourcils. Mon prénom n’est pas courant, d’accord, mais de là à avoir ce genre de réaction...
— Oui, comme la fusée, la voitu…
Sabine lui répond.
— Antoine a effectivement réservé une suite pour vous, Monsieur. Puis-je avoir votre carte d’identité ?
Je ricane. Je vais enfin savoir.
— J’ai malheureusement tout oublié chez moi, à Paris. Est-ce qu’il vous est possible de le joindre ? Il reconnaîtra ma voix et...
— Oh, je vais même faire mieux, dit Sabine. Il est dans le bureau de la directrice pour finaliser les hébergements pour le salon, j’ai cru comprendre. Je l’appelle tout de suite.
Il hoche la tête, sûr de lui, puis s’appuie contre le comptoir. Il croise ses bras et me toise, un rictus arrogant accroché aux lèvres.
Je sens que je vais être ridicule dans peu de temps.
La directrice accourt, suivie d’Antoine. Je les connais aussi, ce sont de fidèles électeurs de ma députée-présidente. Isabelle lui tend une belle main manucurée.
— Monsieur Bastin ! Je suis très heureuse de vous accueillir dans notre établissement. C’est un honneur de recevoir un triple champion olympique.
Je baisse la tête, rouge de confusion.
Antoine est moins formaliste.
— Thomas ! Je suis content de te voir. Et soulagé. Avec ce temps, j’ai eu peur que tu annules.
Je confirme : je suis ridicule. Comment ai-je pu ne pas le reconnaître ? Pour éviter le sarcasme qu’il ne manquera pas de me balancer à la figure, je triture ma bague (une manie dès que j’ai un problème) et fixe la sortie avec un vif intérêt. Antoine m’empêche de fuir en m’embrassant sur la joue.
— Bonjour ma belle. Tu es en service commandé ou bien ta patronne te laisse tranquille ce week-end ?
Isabelle me serre la main, un sourire aux lèvres en remarquant mes bottes en caoutchouc. Pas très glamour, je sais.
— Non, non, je ne travaille pas, d’ailleurs je dois rentrer, mon chat s’est encore sauvé et sous cette pluie, j’ai peur qu’il se cache dans un endroit impossible. J’ai juste rendu service à Monsieur Bastin dont...
— Je vous en prie, appelez-moi Thomas, me coupe le champion, le regard moqueur. Permettez-moi de vous inviter à déjeuner, c’est le moins que je puisse faire pour vous prouver ma reconnaissance. Et si vous avez besoin d’aide pour votre chat, je suis votre homme.
Antoine et Isabelle sont surpris. Il explique.
— Ma voiture est tombée en rade et Ariane m’a gentiment proposé de m’accompagner jusqu’à l’hôtel.
Je dois admettre qu’il est beau joueur. Il ne fait aucune allusion à mon spray au poivre ni à mon ignorance crasse concernant son sport.
Il ne me quitte pas des yeux. Ils sont une promesse qui glisse sur ma peau, s’arrête sur mes seins, louche plus bas, remonte et se fixe sur ma bouche. Le message est on ne peut plus clair. Qui suis-je pour refuser une telle offre ? Sûrement pas une sainte, encore moins nitouche, et je vais me faire un bonheur de lui montrer que je n’ai pas d’auréole au-dessus de ma tête. Marcel attendra.
— J’accepte avec plaisir. Je vous raconterai les monts et merveilles de notre belle région.
— J’en ai déjà une petite idée.
Sa voix n’arrange rien. J’en ai le souffle coupé. J’ai toujours été sensible à deux choses chez les hommes : des mains fortes, noueuses, voire un peu calleuses et une voix grave, rauque, annonciatrice de murmures chauffés à blanc. Thomas possède les deux, sans parler de son corps. J’ai hâte de savoir si je me fais un film.
Antoine m’embrasse en me remerciant d’avoir sauvé son héros, puis nous quitte non sans avoir invité son ami pour le diner et grogné à propos de temps pourri. Isabelle est passée derrière la banque d’accueil, occupée à rassurer une horde de clients ruisselants de pluie. À voir leurs têtes, c’est l’apocalypse dehors. Je me pousse pour éviter des éclaboussures, Thomas en fait autant, de sorte que nous sommes scotchés l’un à l’autre tout au bout du comptoir.
Je sens son bras droit s’appuyer légèrement sur mon sein gauche, son sourire me fait comprendre qu’il le fait exprès. Je ne m’en plains pas, d’autant que sa chemise trempée crée un chaud-froid délicieusement excitant. C’est comme s’il glissait un glaçon sur ma peau et mon corps en redemande. Je lui renvoie le même sourire, nos souffles nous invitent à jouer dans une bulle que nous sommes les seuls à partager. C’est divinement électrisant. Thomas approche sa joue de la mienne, une de ses mains effleure celle que j’ai posée sur le comptoir, son pouce emprisonne le mien. Je discerne un voile de regret dans ses yeux, lorsqu’il touche ma bague. Il se raidit puis se détourne pour s’adresser à Sabine, gommant tout le charme de notre séduction commune.
— Ma chambre est prête ?
Pourquoi cette volteface ?
— Bien sûr. Voici votre carte. Nous vous souhaitons un bon séjour chez nous, conclut-elle en souriant.
Je tourne nerveusement ma bague autour de mon annulaire. Sabine connaît ce tic, je le lui ai expliqué un soir de spleen, et me gronde gentiment.
— Arrête de maltraiter ce bijou. Ta grand-mère risque de mal le prendre.
— Je sais. Elle me l’a dit cent fois depuis qu’elle me l’a donné.
Thomas réagit étonnamment.
— C’est un cadeau de votre grand-mère ?
Pourquoi cette question ? Le diamant est beau, mais ce n’est pas non plus le Régent1. Il est vraiment déroutant ce mec.
— Oui. C’est un bijou qui est dans notre famille depuis plusieurs générations. Elle me l’a offert pour mes vingt-cinq ans que j’ai fêtés il y a un mois. Une façon bien à elle de célébrer les catherinettes, usage qui tend à disparaître, heureusement. J’ai eu beau lui expliquer que cela ne se faisait plus, elle a tout de même insisté en me disant que cette bague prendra toute sa signification le moment venu. Je n’ai rien compris, mais cela aurait été ingrat de ma part de lui refuser cette beauté. Elle est magnifique, n’est-ce pas ? dis-je en lui mettant la bague sous le nez pour qu’il puisse l’admirer à son tour.
Il éclate de rire. Je ne comprends pas.
— C’est le bijou de famille qui vous fait cet effet ?
Il me susurre à l’oreille :
— J’en ai deux à votre disposition.
1 – Acquis par Philippe d’Orléans, régent de France, en 1717, ce diamant est un des plus beaux du monde. À admirer au Louvre
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