Un problème, ça se règle à DEUX!
Le trajet fut long. J’avais les écouteurs dans les oreilles, la lecture aléatoire activée.
La voix de Bjork pénétrait mes oreilles. Le paysage défilait Des maisons victoriennes, d’autres en brique rouge, suivies d’étendues de forêts aux feuillages verts pétillants. Le soleil brillait. Il faisait horriblement chaud et la clim était en panne.
Je sentais que Gill était fâché. Et je le comprenais. J’étais arrivée hier après le fameux coup de fil à mes parents l’air de rien. Je ne lui avais rien dis.
Je m’en voulais énormément. J’avais pensé bien faire en imaginant que mes parents seraient juste choqués mais qu’ils ne diraient rien pendant quelques jours, le temps de digérer la nouvelle. Et que je pourrais profiter de ces jours pour dire à Gill que mes parents savent pour nous deux. Mais je ne m’attendais pas à un tel scandale, ni qu’ils envoient un message à l’agence. Et qu’elle appelle Gill. Tout ceci allait plus loin que ce que j’imaginais.
Une fois arrivée à la gare, je mis le GPS sur mon téléphone. Gill m’avait prévenu qu’il y était déjà et qu’il m’attendait.
En effet, je le trouvai en train de discuter avec la femme qui me suivait. Une grande perche d’au moins un mètre septante avec une queue de cheval brune. J’entendais ce qu’ils se disaient :
— Oui, j’assume mon erreur de ne pas avoir dit que j’étais toujours sous traitement médicamenteux pour ma dépression. Mais comprenez deux choses. Premièrement, je voulais faire une bonne action, faire découvrir l’Australie à une jeune personne au pair en prenant à cœur mon rôle de host dad. Deuxièmement, ma psychiatre que je vois toujours m’a affirmé, et noté noir sur blanc dans mon dossier, qu'elle était d’accord pour ce projet.
Il lui tendait un scan de son dossier qui était dans son téléphone.
Je m’approchais.
— Excusez-moi…
Ils se retournèrent vers moi.
— Ambre?
— Oui.
— Je discutais avec ton host dad sur la situation. Suivez-moi…
Elle nous fit nous asseoir face à un bureau open space. Le cliché du bureau d’employé avec un Macbook Pro, un mug trouvé dans une boutique de souvenir, un calendrier couvert de post-its en guise de tapis de souris sur lequel reposait un clavier, un pot à crayon plein, un téléphone filaire relié aux autres via une ligne interne. Et une photo encadrée d’un homme et deux enfants en bas âge.
— Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Vous, Gill, vous auriez dû signaler à l’agence que vous étiez sous suivi psychiatrique et nous montrer un dossier qui certifie bien que vous êtes apte à prendre une personne au pair en charge. Vous avez fourni une preuve recevable que je vais ajouter à votre dossier. Toi, Ambre, il n’est pas de notre ressort de gérer les différends familiaux des personnes que nous prenons en charge.
— Oui je sais bien. Mais je ne savais pas qu’ils enverraient un message pour se plaindre.
— Je vais donc leur envoyer un message pour dire que tout est en règle et que ton host dad est apte à te prendre en charge. Et je mets le dossier à jour. Je vais également leur faire savoir que vos discordes familiales n’ont rien à faire dans notre structure.
— Je vais régler ça avec eux au plus vite. Excusez-les, ils sont assez...étouffants.
Elle eut un petit sourire que je ne savais pas comment prendre.
— On se fait toujours du souci pour nos enfants. Je suis moi-même mère, donc je comprends très bien que tes parents se soient inquiétés. Bien, tout est en règle.
J’étais soulagée… Déjà, on ne me faisait pas changer de famille.
— On peut y aller? Demanda Gill
— Oui c’est bon. Passez un bon après midi
— Vous aussi.
J’avais un sourire léger comme la brise qui caressait mes cheveux une fois dehors.
L’idée de savoir que mes parents seraient remis à leur place par l’agence… Qu’ils se prennent en pleine face qu’ils ont eu une réaction démesurée... J’en riais.
— Ça te fais rire?
Gill était toujours remonté. Sa voix avait claqué comme une gifle.
Mon sourire s’effaça de suite.
— C'est nerveux…
— A ton avis, comment tu crois que je l’ai pris ce coup de fil de l’agence alors que j’étais en train de brancher la box d’une dame âgée qui s’était faite envoyer sur les roses par le SAV? Et malentendante qui plus est!
— ...Mal.
— Et le fait que j’apprenne que tu m'as caché que t’avais tout dit à tes parents?
—...Mal
— Ce n’est rien de le dire! Ça s’est passé quand ?
— Hier après-midi. Après avoir déposé des CV dans le quartier.
— Tu es rentrée l’air de rien, tu m’as dit que ton après-midi s’était bien passé, qu’il n’y avait rien de plus à raconter etc… Je sentais bien qu’il y avait un truc qui te travaillait, et tu me disais que c’était “seulement” la fatigue. Comment veux-tu que notre couple marche si tu ne me dis pas les choses ? On va où là ?
— Je...je ne voulais pas que tu culpabilise ou que ça te mette mal...
— Tu as raison. Dit-il avec ironie. Il vaut mieux que je l’apprenne de la bouche d’une parfaite inconnue en plein travail plutôt que ce soit ma moitié qui vienne me voir et me dire “écoute chéri il y a un problème, mes parents sont choqués de notre relation. Il faut les rassurer”
— Mais ils auraient été fermés au dialogue.
— On aurait réglé ça ensembles avec eux. Mais non, t’as préféré utiliser ta meilleure poker face et…
Son téléphone sonna. Il le prit en me disant:
— Je sais où j’en suis. Je te reprends.
Et décrocha :
— Oui allô?... Oui? … Votre PC est en mise à jour depuis hier soir et il est toujours sur quarante pour cent? Vous êtes sur Melbourne?...Votre adresse s’il vous plait...
Il pianota rapidement sur Maps tout en continuant son appel.
—… Je serai chez vous d’ici quarente minutes....Très bien. A tout de suite.
Il raccrocha puis reprit notre discussion en mettant veste, casque et gants, et monta sur sa Ducati.
— Ce que je veux te dire Amber, c’est que je voudrais que tu te comportes comme une adulte. J’ai passé l’âge des non-dits à base de “ah mais peut être que si je lui dis ça il va penser ça, mais si je ne dis pas il va penser ça”. Surtout que ça nous concerne tous les deux. La communication dans un couple c’est pour le meilleur ET le pire. Si tu fais les choses dans mon dos pour soi-disant ne pas me mettre mal, alors que maintenant je suis capable de faire face à des situations sans tomber telle une tour Kapla, on ne va pas aller loin. Tu comprends ?
— Oui… Répliquais-je, la gorge nouée et le regard baissé.
— J’attends des actes. Sur ce, je te laisse, j’ai un client. Profite en pour méditer sur ce que je t’ai dit. On se retrouve ce soir.
Il ne prit même pas la peine de m’embrasser. Il fixa son casque, démarra et partit.
Je restais là, plantée comme un poireau. Je me sentais tellement immature. J’avais pensé bien faire, et ça me revenait dans la face comme un boomerang -pour une expatriée en Australie c’est vraiment un comble. La gorge me serrait au point qu’avaler ma salive était douloureux.
En marchant de façon désuète, je tombai face au parc du quartier : Boronia Park.
Je me mis sur un banc qui se trouvait à l’ombres d'un arbre et pleura un moment. Je luttais contre l’envie de laisser des vocaux incendiaires à mes parents. Des vocaux leur disant de me laisser vivre, qu’ils m’étouffaient, que même à plus de dix mille kilomètres ils étaient capables de m’emmerder, qu’ils me voyaient encore comme une gamine, ou encore qu’ils étaient jaloux car ça les emmerde de me voir heureuse dans un beau pays alors qu’ils sont coincés dans leur petite vie basique dans le Plat Pays. Des mots que j’aurais regretté une fois calmée...
J’en avais assez de cette journée. Je voulais rentrer...
Je me remis en route pour reprendre le train. J’aurais pu laisser un CV dans les commerces alentours, mais je n’en avais plus la motivation. Peut-être dans la semaine...
Une fois dans le wagon, je me laissais tomber sur un siège. Durant tout le trajet, je fus au premier es loges sur la scène qui se déroulait sous mes yeux. Un couple s’étreignait tendrement sur les deux sièges en face de moi. Comme s’ils étaient seuls dans le wagon, dans le train, dans le quartier, dans la ville!!
Je les enviais tellement...
La sonnerie WhatsApp de mon téléphone me tira de mes ruminations. Ah, Alex...
“Alors ? Ça s'est arrangé avec ton agence ?”
Je lui laissais un rapide message vocal pour lui expliquer ce qui s’était passé.
“Tu veux qu’on se voit? J’ai déposé Eva au travail”
Eva était sa petite amie qui l’avait suivi dans l'aventure australienne.
“Si tu veux. J’arrive à la station du Centre de Melbourne dans dix minutes”
Il me retrouva dans le grand hall. Il me fit une tape amicale sur l’épaule pour me réconforter et m’invita à boire un coup dans un petit bar pas loin. Il s’était pris une crêpe au chocolat avec son smoothie à la mangue. J’optais pour une simple limonade rose. En ôtant mes lunettes de soleil, il constata mon maquillage qui avait coulé sous mes yeux.
— Un bout de crêpe? Demanda-t-il en me tendant un morceau au bout de sa fourchette.
— Non merci. J’ai pas faim… J’ai le ventre noué.
— Parce que Gill est un peu fâché ?
— Il ne m’a même pas embrassée… D’habitude quand il part à moto il me fait toujours un bisou avant de mettre son casque. Là, rien.
— C’est une façon de te montrer qu’il n’est pas content. Et je le comprends. Tu sais, tout ce qu’il veut c’est que tu agisses comme une personne en couple. Il veut se sentir important à tes yeux, que tu agisses et le voit comme ta moitié. Surtout dans ce genre d’affaires où vous êtes concernés tous les deux.
— Je sais… Pourtant je l’aime vraiment. C’est grâce à lui que j’ai compris que je m’étais défaite de ce putain de syndrome qui me pourrissait mes relations. Je ne suis pas tombée amoureuse de lui par rapport à la profondeur de ses plaies, mais par la façon qu’il a eue de les panser et de faire l’effort de se soigner. Quand j'ai vu qui il était hors de la maladie, j’ai compris que je n’étais plus l’Ambre qui ramassait tous les paumés qui trainaient.
— Il faut que tu lui prouves.
— C’est ce qu’il m’a dit. Il veut des actes.
— Alors tu sais ce qui te reste à faire.
— Oui. Je vais lui parler ce soir et proposer de parler calmement à mes parents. Je pense aussi que je vais prendre le repas pour ce soir.
— Tu veux que je t’accompagne ?
— Si tu veux.
Il m'accompagna dans un restaurant japonais qui faisait de la vente à emporter. Gill adorait la nourriture du pays du soleil levant. Je pris des makis, des sashimis de saumon -on boycotte le thon rouge-, des nigiris, des california rolls, deux chirashi saumon/avocat et une boite de mochi goût matcha. En boisson j’optais pour deux bières blondes, une bouteille de saké et deux de limonades au litchi.
— T’as vu large. Me dit Alex en riant.
Je fis une petite halte chez le premier fleuriste qui passa et acheta une jolie rose rouge. La plus ouverte et la plus éclatante de la boutique. Alex en profita pour en prendre une pour Eva.
— Je vais rentrer. Mettre ça au frais.
— Ca marche. On se tient au jus pour une petite bouffe ce week end ?
— Pas de soucis.
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