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Nicolas Verville

Cet automne...

Cet automne fut assez brûlant pour qu’on en parle encore aujourd’hui. Nous séjournions pour deux semaines dans la propriété de ma tante Léonie, une vaste maison de maître au milieu des vignes, au pied des Corbières. Maman m’avait extraite de ma pension en assurant la mère supérieure qu’elle continuerait mes leçons et elle s’y tenait, durant les longues après-midi, après la sieste. Le reste du temps, j’étouffais d’ennui entre les deux sœurs qui s’entendaient à peine.

Les hommes chassaient. Ils rentraient le soir fatigués et à moitié ivres d’avoir étanché leur soif dans les fermes des alentours où chacun était plus ou moins redevable à mon oncle d’une terre donnée à bail, d’un emploi à la mairie pour le cadet. Ils étalaient sur la table de l’office leur butin de petits oiseaux, parfois un lièvre au pelage gluant de sang et faisaient d’infinies recommandations à la cuisinière sur la manière de les accommoder. Puis c’était le repas, lourd, interminable et tout occupé des récits de chasse où père et oncle faisaient assaut de vantardise. Il me fallait ensuite réciter une dernière déclinaison, ânonner une liste de préfectures et j’avais enfin la permission de me retirer dans ma chambre.

Sitôt entrée, j’ôtais mes habits comme s’ils me brûlaient, enfilais une chemise de nuit, me jetais sur mon lit et ouvrais mon livre. À quinze ans, j’étais loin d’être précoce. J’avais découvert depuis peu la mystérieuse activité dont mes camarades parlaient à demi-mot et discutaient de savoir s’il fallait la dire en confession au père Gaffiot qui était un vieux cochon. Le livre était à peine licencieux et je devais compléter avec mes maigres connaissances les passages pleins de sous-entendus. Mais il avait le charme de l’interdit, et les quelques gravures qui l’illustraient suffisaient à me plonger dans l’état convenable. Je jouissais vite et fort et m’endormais immédiatement, pour me réveiller parfois au milieu de la nuit et recommencer dans le noir, me rejouant les scènes que je savais par cœur.

Un soir pourtant, le sommeil ne vint pas. La chaleur était montée d’un cran et aucune brise ne venait l’adoucir. L’exercice auquel je venais de me livrer m’avait mise en sueur, ma chemise trempée me collait à la peau. Je songeai au bassin au fond du parc et me décidai à une expédition.

Je trouvai au fond de ma valise mon maillot de bain, le modèle sage imposé par le pensionnat pour nos rares sorties à la piscine municipale. Ma chambre était au rez-de-chaussée et ma fenêtre donnait sur l’arrière de la maison. Je l’enjambai et sortis.

La nuit était claire et pleine du chant des grillons. Je longeai avec un peu de crainte la longue allée de cyprès immobiles, faisant crisser le gravier sous mes ballerines, montai les quelques marches de pierre qui menaient au bassin. L’eau noire et ondulante reflétait les étoiles. J’eus d’abord la tentation de faire demi-tour devant le mystère de ce miroir ondulant. Mais lorsque je me fus assise sur la margelle encore tiède et que j’eus trempé mes jambes dans l’eau fraîche, je trouvai le courage de m’y laisser glisser. D’abord le froid m’envahit. Le bassin était alimenté par une source et même au cœur de l’été, l’eau que crachait la fontaine ornée d’un angelot était glacée. J’avançai doucement vers elle. L’eau bouillonnait autour de moi. Je songeai que je sentirais mieux les bulles sur ma peau si je me mettais tout à fait nue. Après tout, la maison était sombre, tout le monde dormait, qui pourrait me surprendre ? Je me débarrassai de mon maillot, le posai sur la margelle. La sensation d’être caressée sur tout le corps par l’eau vive était délicieuse et l’impudeur d’être nue dans un lieu que tout le monde fréquentait pendant la journée ajoutait à mon trouble. Je caressai les pointes durcies de mes seins, mes doigts trouvèrent ma chair glissante et le front appuyé sur le pied de marbre de l’ange, je commençai à me caresser.

Mon cœur cessa de battre quand une voix toute proche me tira de ma rêverie.

— Je crois que nous avons eu la même idée. Cette chaleur est vraiment intenable.

J’avais dû pousser un cri sans même m’en rendre compte.

— Oh, pardon, je t’ai fait peur. Je t’ai regardée entrer dans l’eau, c’était un spectacle charmant, je n’ai pas voulu le troubler.

Je reconnus enfin la voix de mon cousin Philippe. J’étais incapable d’articuler une syllabe. Savait-il que j’étais nue ? L’eau m’arrivait aux épaules et il faisait sombre. La honte me faisait claquer des dents. Il continua à parler de sa voix douce, ne semblant pas se formaliser de mon mutisme. Il me dit qu’il était arrivé tard et sans prévenir, ayant déserté son université quelques jours pour faire une surprise à ses parents, qu’il était ravi que nous soyons ici, mes parents et moi.

— Tu as grandi. L’année dernière encore, tu n’avais pas pied.

J’étais étonnée qu’il se souvînt même de moi qui l’admirais de loin depuis mon enfance et dont je prêtais l’apparence aux personnages de mon livre interdit. Tout en parlant, il s’était rapproché. J’osai me tourner vers lui, confiante dans l’obscurité. Je distinguais à peine ses traits. Sa voix changea, se fit plus basse. Il me sembla qu’il était lui-même troublé.

— Pardon, je t’ai un peu menti. Je savais que tu serais ici. J’avais hâte de te revoir. Veux-tu savoir à quel point j’en suis heureux ?

Je sentis qu’il s’emparait de ma main sous l’eau. Il l’attira vers, lui referma mes doigts sur un objet. Je la retirai comme si je m’étais brûlée en comprenant que c’était son sexe tendu. Il gémit.

— Je t’en prie, ne me laisse pas ainsi.

Je restai immobile un instant, à écouter son souffle lourd tout près de moi. Puis il me sembla que tout avait changé. La honte et la peur m’avaient quittée. Je compris que c’était moi désormais qui détenais le pouvoir. J’avançai ma main sans crainte, la posai sur sa poitrine et la laissai descendre doucement. Je trouvai sa verge, la parcourus du bout des doigts, étonnée que cela pût être si dur, si gros et d’une telle douceur. Je l’enserrai de mes doigts et la sentis palpiter. Il me saisit à la taille et me souleva sans peine, il était grand et fort, l’aide de l’eau lui était inutile. Il me plaqua contre la pierre froide. Je sus d’instinct ce qu’il fallait faire. Je refermai mes bras autour de son cou, mes jambes autour de ses hanches, m’ouvrant à lui délibérément. Il tâtonna à peine, trouva très vite l’entrée de mon corps. Sa bouche se colla à la mienne. C’était mon premier baiser, il aurait suffi à m’amener à la jouissance. Il n’y eut aucune douleur quand il entra en moi jusqu’au fond et nos deux cris se mêlèrent quand il explosa.

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