Marianne pianote quelques phrases sur le clavier de son smartphone et le laisse tomber sur son bureau, dubitative. Où cela va-t-il la mener ? Tout dépend de la suite qui ne saurait tarder.
Elle s’est mise à nu en se livrant à la curiosité d’un auteur qu’elle ne connaît que par le biais de e-mails et de discussions sur Messenger, et se demande si elle n’a pas poussé le bouchon un peu trop loin avec ce dernier message. Elle s’est beaucoup plus découverte que lui, satisfaisant certaines de ses questions alors qu’il éludait les siennes, avec tact et finesse, mais la laissant avec un goût de trop peu. Agaçant.
Intriguée et prudente dès les premiers courriels, Marianne a bien sûr fait des recherches sur internet avant de répondre et de s’aventurer vers une certaine intimité et n’a strictement rien trouvé sur ce type, hormis ses œuvres et les critiques unanimement dithyrambiques. Certes, c’est un auteur de textes érotiques. Certes, il a un talent fou. Certes, la photo sur son blog montre un visage au charme indéniable. Mais il n’empêche que son nom est un pseudo, Gaspard Sybar (coucou le sybarite !), et sa vie privée reste un mystère puisqu’il ne divulgue rien à ce sujet. À l’époque du selfie et de l’égocentrisme porté au rang de religion, cet homme est un ovni.
La seule chose qu’il a bien voulu lui révéler est qu’il est un libertin et qu’il admire les femmes sensuelles, charnelles : celles qui explorent l’érotisme sans aucun frein, celles qui aiment la luxure, l’interdit et qui ne reculent devant aucune impudence, celles qui osent affirmer adorer le sexe, dans tous les sens et dans n’importe quelles circonstances.
Une femme comme elle, donc, même si Marianne ne le crie pas sur tous les toits. Elle préfère ne pas s’étendre sur ce sujet, cultivant ses jardins privés incognito, y compris auprès de son entourage très proche. Elle n’a pour autant jamais caché avoir une grande libido, mais goûte le secret pour certaines pratiques. Sa devise est « l’orgasme et moi, c’est une histoire d’amour entre nous ».
Marianne sait qu’elle fait partie de ces femmes que d’aucuns disent mûres. La quarantaine bien entamée, elle songe aux belles années encore devant elle, mais les jours raccourcissent au fil des ans et renforce sa détermination à saisir tous les plaisirs qui pourraient jalonner sa route jusqu’à ce que son esprit et son corps sifflent le temps mort.
Ce Gaspard a du talent et leurs échanges de plus en plus salaces, voire scabreux, l’ont mise dans un état où un seul frottement sur son sexe pourrait l’amener à jouir. Ce salopard sait y faire, il n’y a pas de doute ! Peut-être croit-il l’avoir prise dans ses filets voluptueusement dévergondés, prêt à plonger sur sa proie et à la dévorer sans vergogne ? Marianne s’amuse de le laisser envisager une éventuelle victoire. Qui est l’araignée, qui est la mouche ? Elle a un penchant pour ces petites bêtes à huit pattes qui ont l’art de filer une toile. Les mouches se font toujours avoir…
Marianne s’est peut-être un peu trop découverte, mais il lui reste encore quelques dessous solidement tissés. Elle a pris bien soin, durant leurs « conversations », de ne montrer que ce qu’elle voulait bien afficher. Chaque chose en son temps. En cette époque qui file à mille à l’heure, la lenteur est un préliminaire qu’elle affectionne particulièrement. Marianne est une voyeuse et une exhibitionniste. Une allumeuse aussi. Et ces qualités demandent une pratique qui a besoin de prendre une vitesse de croisière au rythme des vagues de son corps. Pas moins, pas plus. Elle connaît parfaitement le dosage. Pas Gaspard. Pas encore.
Il est loin de se douter, tout du moins le présume-t-elle à l’analyse de ses mots, qu’elle a commencé à jeter son premier fil de l’autre côté de sa tige. Depuis leur dernier dialogue, Marianne n’a plus qu’une envie : inciter cet homme à se déboutonner et à se caresser en l’imaginant en faire autant. Dès qu’il l’a provoquée en insistant pour lire ses fantasmes, elle a su qu’elle fera tout pour qu’il s’en remette difficilement. Lorsqu’elle lui proposera le programme qu’elle concocte délicieusement depuis sa sollicitation, Gaspard se rendra compte qu’il aura peut-être ouvert une boîte de supplice de Tantale remplie de jouets licencieux qu’il ne pourra plus, ou ne voudra plus, refermer. Tel est pris qui croyait prendre, n’est-ce pas, mon cher et aventureux Gaspard ?
Marianne jette un œil sur son portable lorsqu’elle entend la sonnerie caractéristique d’un message. La réponse ne s’est pas fait attendre. Il est troublé. Parfait. Elle n’est donc pas la seule. Cet homme l’a enflammée au point de désirer se satisfaire ici même, dans son bureau et au beau milieu de la journée. Marianne sourit. Elle connaît son corps et sait prendre le plaisir là où il est et quand elle le veut. Comme elle le trouve toujours, elle est gagnante à tous les coups.
La sonnerie de son poste fixe la fait sursauter. Julien, son assistant, la rappelle à l’ordre et lui indique que son rendez-vous est arrivé.
— Comment est-il ?
Il applique leur règle du jeu, mise au point depuis quelques mois, et lui répond en code :
— Soupe aux poireaux.
Traduction : physique banal, un peu fade mais encore vert.
— Laisse-le mariner dix minutes. Je ne veux pas qu’il pense que je lui suis tout acquise.
— Pas de problème.
Elle raccroche et reprend son Smartphone pour relire les derniers messages qu’elle a envoyés à son mystérieux correspondant.
« Et vous, Gaspard, que faites-vous quand vous avez envie d’une femme ? »
« Je fais ce qu’il faut pour qu’elle vienne à moi en toute connaissance de cause. Je cherche ses zones d’ombre et je les digère. Puis je dirige la discussion jusqu’à ce qu’elle aille dans mon sens. »
« Vous n’êtes jamais tombé sur un os ? »
« Jusqu’à présent, non. J’ai eu de la chance, et si vous voulez parler de chose longue et dure, je suis votre obligé. »
« Qui vous dit que votre “chose” m’obligerait ? Sachez, cher Gaspard, que je peux jouir sans avoir cette “obligation” dans mes parages. »
« Mon ego d’homme en est quelque peu agacé. Ceci dit, je suis curieux. À ce que je peux en juger par vos écrits, je ne doute pas de votre talent et il me serait très agréable de terminer cet échange en imaginant quelques scènes de jambes écartées et de soupirs exaltés. M’en ferez-vous l’honneur ? »
« Laissez-moi le temps de passer à la pratique et je vous la raconterais peut-être. »
Marianne jubile à la dernière réponse de Gaspard.
« Je sens déjà votre miel, belle icône. Ayez pitié d’un homme qui bande en vous lisant et donnez-moi la satisfaction que réclame ma chose. »
Elle ne donne pas suite. Volontairement.
Cette discussion lui apporte des palpitations et son sexe pulse son besoin d’être comblé. Jetant un œil sur l’heure, Marianne juge que la soupe aux poireaux peut encore mijoter quelques minutes et obéit à sa libido.
Son souffle déjà court soulève ses seins dont les pointes tentent de percer la soie de son soutien-gorge sous le chemisier rouge. Elle a envie que ce libertin la fouille, mais il n’est que virtuel. Ses doigts, non. Elle glisse un regard vers sa porte qui n’est pas fermée à clé et sourit, l’air déterminé. Le risque de se faire surprendre la rend encore plus humide et elle n’hésite pas longtemps avant de se déhancher sur son fauteuil pour remonter le bas de sa jupe noire et se positionner le plus confortablement possible pour se caresser.
Impatiente, elle écarte le tissu de sa culotte pour accéder à son sexe déjà mouillé. De son index et son majeur, elle déplie délicatement ses lèvres, puis de son autre doigt elle effleure son clitoris, très légèrement pour commencer, entamant un mouvement circulaire délicieusement rythmé à son envie. Très rapidement, elle sent le désir naître au creux de son ventre et c’est tout son corps qui réagit aussitôt, toujours en attente, acceptant mal de ne pas être rempli, même si elle fait tout pour combler ce vide. Elle devient femelle, écarte ses jambes nues et imagine un groupe de dix hommes qui la regardent, fascinés, leur verge dure à la main. La sienne s’agite de plus en plus vite à cette simple pensée, ses doigts étalent son plaisir qui coule abondamment sur son intimité. Marianne déchausse ses ballerines, lève ses pieds et les pose sur le plateau du bureau, s’écartelant au maximum pour exposer son sexe gonflé à leur concupiscence. Elle se déhanche sans aucune retenue et se perd dans son monde licencieux, le cœur tambourinant, incapable de réprimer l’orgasme qui monte grâce à ses mains savantes et douées. Elle ouvre sa bouche sur un cri muet, se cambre violemment, à tel point que son corps forme un pont entre le bureau et le fauteuil, la tête renversée, folle et inconsciente, mais follement consciente de sa jouissance qui gronde dans un silence complice. Elle l’électrise et la hisse au-delà de sa réalité, l’emporte dans une spirale de luxure époustouflante.
Les yeux hagards, les joues en feu, Marianne s’affale sur le siège, sans force. Ses jambes glissent du plateau et tombent mollement au sol. Elle met quelques secondes à reprendre ses esprits puis éclate de rire en se rajustant. Putain, quel pied j’ai eu sans toi, cher Gaspard. Et quel risque aussi ! Elle sait bien que n’importe qui aurait pu la surprendre dans cette position qu’elle a volontairement voulue obscène afin de créer une situation où le danger sublime son excitation.
Cela n’a pas de prix. Et puis, c’est très bon pour la santé !
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