Je me suis perdu ! Comment est-ce possible ? Et surtout, pourquoi me suis-je engagé dans cette histoire ?
J’aurais mieux fait de dire non lorsque Antoine m’a supplié de parader au salon des sports individuels qu’il organise tous les ans dans cette petite commune au bord de l’Atlantique et qui a un franc succès, je dois bien le reconnaître, puisqu’il attire beaucoup de monde. Vraiment beaucoup. Il paraît même, à lire les articles qui relatent chaque année l’évènement, que la ville est assiégée durant cette manifestation.
Lors d’une soirée pince-fesses à Paris dans laquelle je m’ennuyais ferme malgré les fans et les femmes autour de moi, mon ami m’a caressé dans le sens du poil en me faisant ces fameux yeux de chat tout ronds et tout mignons : « Thomas, tu vas être la star du salon ! Toi, l’escrimeur aux trois médailles d’or olympiques, le mec le plus glamour des pistes, ta venue serait une fantastique pub pour ton sport et attirerait encore plus de gens. Ça serait génial. S’il te plait, s’il te plait, s’il te plait, ne me dis pas encore non. »
Antoine est tenace : neuf ans qu’il me fait sa demande. J’ai résisté à chaque fois. Ce n’est pas parce que nous nous connaissons depuis les bancs de l’école que je suis obligé de lui rendre ce service. Bon, je l’aime beaucoup. Tel un frère que je n’ai jamais eu puisque je n’ai plus de famille, comme le rappellent les médias qui me suivent depuis que je suis médaillé : « Orphelin à onze ans, cela n’a pas dû être facile pour lui. » Sans blague.
Antoine s’accrochait à ma décision alors j’ai cédé et accepté. Après tout, une semaine au vert ne pouvait pas me faire de mal. Je sortais d’une histoire compliquée, avec une femme compliquée, à la libido compliquée. Elle voulait que je la fasse jouir jusqu’au petit matin sans jamais penser à mon propre plaisir. J’ai besoin qu’il soit partagé, que la femme que je veux combler, me chavire et me transporte loin, haut et qu’ensemble, nous nous écroulions avec la satisfaction d’avoir exaucé les désirs de l’autre. Je prends mon pied sur la piste avec mes estocades, et je veux connaître la même folie, sentir la même adrénaline dans mon lit. Pour l’instant, je n’ai toujours pas trouvé la fine lame prête à me percer le cœur.
Antoine a failli ne pas me croire lorsque je lui ai donné ma réponse, puis il a sauté de joie en me disant que j’avais illuminé sa soirée qui commençait à l’ennuyer. Le maître de cérémonie n’a pas apprécié. J’ai souri, puis je suis passé à autre chose. Comme souvent depuis quelque temps, comme si je n’arrivais pas à m’accommoder de ces petits bonheurs. C’est vrai, ça fait du bien de faire plaisir, alors pourquoi je ne ressentais rien ?
Je n’ai pourtant pas à me plaindre : je vis très bien de mon sport, mes sponsors me gâtent, ma vie à Paris me convient parfaitement. Mon portrait diffusé sur le Net montre un brun aux yeux noirs légèrement étirés, à la mâchoire bien définie, aux lèvres tentantes. Je n’ai pas le physique d’un grand gaillard, mais je suis loin d’être un gringalet. On dit que j’ai du charisme et mon sourire est, paraît-il, ensorcelant. Alors pourquoi suis-je toujours seul, jamais satisfait ?
Bonne question. Le problème est que je commence sérieusement à me lasser de vouloir y répondre. Et pourtant, je suis bien trop jeune pour être blasé, je n’ai que trente-deux ans avec de sacrés beaux jours à vivre, si tout se déroule bien. Putain, qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? J’ai peut-être besoin de changer de paysage, alors pourquoi pas l’air marin ? Qui sait ? Il se peut que quelque chose se passe. J’ai toujours la liberté de rêver, c’est mon côté romantique, ça.
Toujours est-il que je me retrouve dans cette ville que je ne connais ni d’Adam ni d’Ève, au centre de ce qui ressemble à une future tempête et qui n’est pour l’instant qu’une belle tourmente et où les habitants doivent se terrer chez eux, vu les rues désertées. Certes, il est encore tôt, ils ont bien le droit de paresser le samedi et de plus, étant autochtones, ils savent mieux que moi ce que ce gros grain veut dire. Je ne suis pas sorti de l’auberge !
À l’ère des GPS, j’ai réussi à me perdre dans les dédales des rues pittoresques, dignes du labyrinthe de Thésée. Je ne trouverais jamais une Ariane pour m’en délivrer. Je stationne depuis une dizaine de minutes près du bord de mer, à observer les vagues grossir à vue d’œil comme si elles allaient m’apporter la solution.
Il faut que je me bouge : l’océan furieux crache ses eaux qui s’amusent à lécher les pneus de ma voiture et je n’ai pas le pied marin.
Quelque chose attire mon regard vers ma gauche. Une porte vient de s’ouvrir, il y a donc bien un être vivant dans le coin ! Je vais pouvoir lui demander où se trouve cet hôtel que m’a réservé Antoine et boire enfin un café bien serré dans ma chambre.
Avant de sortir, je jette un œil au ciel : d’impressionnants nuages s’accumulent et n’augurent rien de bon. Tant pis, je prends le risque d’affronter la saloperie de temps. Je coupe le contact et attrape mon imper noir que j’enfile comme je peux. J’ouvre la portière en me battant contre le vent, les pans du vêtement s’envolent derrière mon dos, telles des ailes d’un être surnaturel. Je ressemble à un archange ténébreux, tout de même mâtiné de blanc. Je ne suis pas si diabolique, quoique, au lit, il paraît que si.
Je m’arrête net devant l’apparition d’une sublime créature, presque nue, qui s’efforce de rabattre le tissu diaphane sur elle. Le voile bleuté m’offre une vue divine : une peau ivoire, des seins pommés faits pour mes paumes, un triangle sombre que j’aspire terriblement à allumer pour y découvrir ce qu’il cache et des jambes qui dansent dans un rythme impossible. Mes yeux remontent et je manque une deuxième respiration lorsque de longs cheveux noirs fouettent sa taille et qu’une bouche rouge dessine un joli « O » dans laquelle ma langue veut plonger.
J’ai envie de m’agenouiller.
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