Tout commença par ses lèvres rosées…
Il les fixait. Il les imaginait, tendres, un peu gonflées par l’excitation, mouillées de salive. Il aurait envie de les suçoter, de les mordiller, de passer sa langue agile entre elle pour la faire frétiller, onduler de désir. Il l’écouterait lui murmurer entre deux souffles : oui, encore…
Et puis, sans plus aucune hésitation, il franchit les quelques mètres qui les séparaient. Il avait envie de la goûter, de la savourer. Il commença par retirer les lunettes de soleil de la jeune femme pour regarder ses yeux, passa son nez dans ses cheveux couleur de blé pour en humer le parfum léger. Les doigts dans son cou descendaient à présent lentement, très lentement, effleurant chaque vertèbre sans s’y attarder. Des petits frissons commencèrent de naître à chaque frôlement. Elle était vibrante. Elle leva les yeux vers lui.
Alors, il s’empara de sa bouche. Presque violemment.
Une étrange correspondance s’était nouée entre eux, quelques mois auparavant. Des lettres, oui, de vraies lettres, alors qu’à l’heure d’aujourd’hui, on en était aux échanges virtuels. Il lui écrivait sur du papier vergé, ivoire, pliait la feuille en trois et la mettait dans une enveloppe de même qualité. Après avoir léché la partie gommée de celle- ci, il la refermait. L’adresse était déjà indiquée : mademoiselle E. Corne, avenue des Grands Platanes, 12 - 13200 Arles. Quant à lui, de manière régulière mais pas aussi fréquente, il recevait des missives courtes, parfumées, écrites sur du papier origami aux motifs floraux de 15 cm par 15 cm. Les enveloppes étaient colorées, elles aussi, mais unies. Monsieur N. Ammay, Castel Béranger, rue de la Fontaine, 14 – 75016 Paris.
La teneur de leurs messages ? C’était très simple. Cela avait commencé par des défis d’écriture. « Je rédige un début d’histoire d’une centaine de mots ou une suite. A vous de continuer en utilisant ces mots… ». Là, suivaient des noms communs, en général, mais aussi des verbes, des adjectifs, tous issus du temps passé. Mots oubliés ou dont le sens premier avait changé pour s’« adapter » au langage usuel actuel. Ils avaient déjà dû intercaler myrostoyer, rodilardus, gramenter… mais cela, dans une histoire cohérente. C’était un exercice de style mais aussi une véritable gageure pour l’imagination de chacun. Lui, grand seigneur, et certainement plus inspiré qu’elle, lui envoyait à peu près trois missives, une pour chaque mot, alors qu’elle, elle compressait son texte, utilisant les mots en un envoi unique de dix lignes au plus.
Ils ne parlaient pas de leur vie personnelle, de leurs soucis du quotidien. Ils ne s’encombraient pas de confidences tendres, ou révoltées. Non, juste leurs « exercices littéraires ». De temps à autre, il recopiait, au bas du feuillet vergé, un court poème d’un auteur français suranné. En général, cela rappelait l’idée de ce qui figurait au- dessus. Elle, par contre, si elle s’était laissé aller, il eût été certain qu’elle se serait servie du langage sms propre aux gens de sa génération. Il faut dire que plus de trente ans les séparaient. Elle était plus jeune que les enfants de l’homme. Mais, était- ce important, dans le fond ?.... Depuis quelques temps, ils avaient laissé tomber les masques littéraires, parlant chacun des pratiques sexuelles au sujet desquelles ils fantasmaient. Lui, de manière très enrobée de beaux mots, elle, plus simplement et plus crument.
Ils ne se ressemblaient en rien non plus physiquement. Elle n’était pas grande, avait une silhouette juvénile, peu de hanches, peu de fesses et pas beaucoup de seins non plus. Lui, par contre, dans la force de l’âge était assez grand, élancé, tout en muscles. Il prenait soin de lui et généralement, on lui donnait une quinzaine d’années de moins que ses soixante ans…
Ils ne s’étaient jamais rencontrés. En vrai. Mais là, elle avait mis quelques habits dans une petite valise (la suite nous dira de quoi il s’agissait) et avait sauté dans un avion pour rejoindre Orly. Ils allaient passer un WE dans l’appartement de l’homme, écrivain connu du Tout- Paris. Et puis, la vie de chacun reprendrait : échanges épistolaires et… davantage, si ces quelques jours se passaient bien.
Il l’attendait donc. Il n’avait pas l’habitude de ce genre de choses. D’abord, le lieu : le grand hall d’un aéroport, beaucoup de monde. Des touristes, des voyageurs d’affaire. Valises à roulettes, sacs de voyages, sacs à dos. Des amoureux qui se retrouvent, des enfants qui rejoignent leurs parents. Il regardait nerveusement la porte par laquelle sortaient les gens ayant pris le vol Marseille- Paris. Elle avait préféré prendre l’avion qui ne mettait qu’un peu plus d’une heure au TGV. Il ne savait pas vraiment à quoi elle ressemblait. Elle ne lui avait pas envoyé de photo. Elle lui avait juste parlé de sa taille et de ses courbes. Il savait qu’elle avait des cheveux blonds, mi- longs et qu’elle serait vêtue de bleu. On était à l’aube de l’été, en mai, et comme à Arles, il faisait chaud, elle ne porterait certainement pas grand-chose…
Voilà : ce devait être elle : le flot des passagers s’était arrêté et elle était là, un peu perdue, avec ses Ray-Ban sur le nez. Sa valise à roulettes rose pâle à la main. Elle portait un ensemble bleu : une jupe assortie à un petit haut rehaussé de dentelle. Aux pieds, des sandales plates. Et un petit sac caramel de la même couleur que ses chaussures. De fait, ses cheveux étaient blonds et elle n’était pas grande. Elle tournait la tête de gauche à droite, visiblement pour essayer de reconnaître son correspondant. Elle espérait qu’il ne serait pas en retard.
Et lui, il la regardait. Il aimait cette vulnérabilité. Elle avait mis du gloss rose sur ses jolies lèvres et il avait hâte de lui ôter ses lunettes de soleil pour savoir de quelle couleur étaient ses yeux…. Verts ? Noisette ? Gris ? Il recommença de regarder ses lèvres… Une véritable invitation aux baisers… Charnues. Et puis, n’y tenant plus, il la rejoignit. Sans beaucoup de précautions, après lui avoir retiré ses Ray Ban et passé la main dans le dos, il l’embrassa. Son baiser n’avait rien de tendre ou de doux. De la fougue. Un grand chamboulement. Il attendait ce moment depuis qu’il savait qu’ils allaient enfin se rencontrer. Elle, timidement, commença par ne pas répondre à ce baiser. Elle était surprise par tant de violence et d’insistance. Elle n’avait pas l’habitude des choses rapides à ce point. Elle s’était toujours contentée d’étreintes douces, remplies de précaution. Les hommes, en général, la traitaient comme une petite poupée fragile…
A suivre : Noël murmura à Eulalie, la bouche collée à l’oreille : « laisse- moi m’occuper de tes lèvres : je serai doux ». Et là, elle fondit, complètement.
Comments