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Les jeux dorés de Dorothée. - 9.

J’ai amené ce soir des barquettes de chez le traiteur Thaï. Dorothée les fait réchauffer au micro-ondes pendant que je dispose assiettes et couverts sur la table basse du salon.

— Au fait, j’ai eu des nouvelles de Sophie. Elle sera par ici dans une semaine.

— Elle arrive d’où ?

— D’Espagne cette fois. Son richard de mari possède de belles villas dans différents pays pleins de lumière. En Italie aussi, en Grèce et au Maroc.

— Mazette ! Elle vient seule ?

— Bien sûr. Son mari est au courant de nos frasques et il a compris dès le début que pour la conserver, il a tout intérêt à lui laisser ses moments à elle. Quand elle retourne vers lui, Sophie ne lui cache rien et récit de ses exploits le fait bander. Ils baisent comme des furieux pendant une semaine.

— Sympa comme arrangement. A priori plus attirant qu’une monogamie où chacun s’emmerde sans oser le dire.

— À chacun de trouver le sien en effet. J’ai toujours refusé l’idée du mariage. Même comme celui de Sophie. Je préfère une relation libre avec un partenaire non exclusif.

— C’est quoi l’idée ?

— Imaginons que nous soyons ensemble, je dis bien imaginons…

— À deux sous le même toit ?

— Sûrement pas ! De toute façon, ce serait chacun chez soi. Je continue ? Donc pas question par exemple que je te cache que je vois Sophie, ou quelqu’un d’autre.

— Tu as quelqu’un d’autre ?

— Pour le moment non, mais ça peut arriver.

— D’accord. Et donc, pareil pour moi si d’aventure…

— Bien entendu. Tu peux vivre ce dont tu as envie, avec moi, sans moi, et on peut s’amuser ensemble avec d’autres partenaires. Elle te paraît comment cette idée ?

— Si c’est une proposition, je prends.

— Vrai ? Oh mon chéri, on peut se dire qu’on est ensemble alors maintenant ?

— On peut. Moi j’aime bien l’idée, surtout vue comment tu l’exposes.

Dorothée se jette à mon cou et me couvre le visage de bisous doux. Je sens son cœur battre contre le mien. Il y a une vibration ce soir-là, sur le canapé de son salon, comme le scellement d’un pacte intime.

Plus tard, entre deux bouchées de poulet au curry, Dorothée me demande :

— Tu n’as jamais encordé quelqu’un j’imagine ?

— Non jamais. Les cordes, je connais un peu par les images. Je trouve ça très beau, très sensuel aussi cette manière de redessiner les corps. Tu aimerais ?

— Quelle question ! Il faut que je te présente Évelyne alors. Elle va t’apprendre, si tu en as envie bien sûr.

— Avec toi comme modèle ?

— Il faut bien que je me sacrifie ! Sauf si tu as en tête une autre volontaire bien entendu…

— Pas vraiment non. Si ce n’est pas indiscret, tu l’as connu comment Évelyne ? C’est son métier d’encorder les gens ?

— Son métier non. Une passion, oui. Elle participe souvent à des événements dans des boîtes branchées sexe. Ou bien elle loue un local pour une session avec une poignée de couples. Elle a un site web et elle a même écrit un bouquin, je te le prêterai si tu veux. J’aime bien son approche. Sinon, quand elle n’encorde pas, Évelyne conduit des autobus.

— C’est avec elle que tu as découvert cet univers et ton ambivalence ?

— En effet. J’ai commencé encordée et j’ai poursuivi en devenant encordeuse. C’est assez différent. Quand je suis encordée, je lâche tout. Quand j’encorde, je suis hyperfocalisée sur la connexion avec l’autre, totalement dans le contrôle. Les deux sont géants. Mais pour répondre complètement à ta question, ce n’est pas dans ce genre de soirées que je l’ai rencontré.

— Ah bon ?

— En fait, nous militons toutes les deux dans une association de défense du patrimoine local. Le site des anciens chantiers navals notamment. Ça te dit quelque chose où tu ne suis pas les actualités locales ?

Bien sûr que je m’y intéresse. Je me suis même abonné au quotidien du coin quand j’ai débarqué ici il y a moins d’un an. Je me souviens de quelques articles de ce sujet des anciens chantiers. Après sa fermeture, gros trauma pour la ville, des milliers de mètres carrés se retrouvent inoccupés depuis des années au cœur de la ville personne ne sait qu’on en faire. Un énième projet paraît vouloir sortir au grand jour…

Dorothée m’a félicité et elle m’a expliqué la suite. À ses yeux, le dernier projet en date s’annonce comme une vraie catastrophe. Les promoteurs proposent une solution radicale : tout raser et reconstruire à la place des résidences de luxe avec en rez-de-chaussée des restaurants et des boutiques. En quelques coups de bulldozers, tout un pan de l'histoire ouvrière locale anéanti.

Ici, la ville a été surnommée « la cité de l’acier » pendant des générations. Ici, saisons après saisons, dans des bâtiments grands comme des cathédrales, des hommes en bleus ont formé et assemblé d’immenses plaques de métal à grands coups de chalumeaux d’où sortaient des gerbes

d’étincelles qui retombaient en cascade dans l’atelier.

Petite, Dorothée avait visité les lieux un jour. Son père travaillait comme soudeur sur le chantier. Cette journée l’avait marquée. Elle se sentait fière d’appartenir à l’histoire de ces gens qui fabriquaient ces bateaux gigantesques capables de naviguer sur toutes les mers du globe.

— Et il y a des projets alternatifs ?

— Celui que nous portons avec l’association, oui. Le plan serait de conserver les bâtiments bien sûr, d’en rénover certains, et transformer le tout en un lieu où des activités très diverses pourraient cohabiter. Il en existe pas mal maintenant de ce genre de regroupement dans la région, des expériences vraiment passionnantes. Un jour, il y avait une manif en ville pour s’opposer au projet du maire. C’est là où l’on s’est rencontrée avec Évelyne. De suite on a bien accroché, on est devenues copines et puis un soir de confidences, elle m’a branchée sur le shibari. J’en avais entendu parler, bien sûr. Mes yeux ont dû briller un peu trop fort, et quand elle m’a proposé de m‘encorder, j’ai dit oui sans hésiter.

— Encore une fois, je te fais confiance pour les cordes comme pour le reste. Mais dis-moi, Évelyne, elle conduit vraiment des bus ?

— Toi, je sens que tu te fais une image mentale pleine d’a priori. C’est pas joli joli mon chéri. Attends de la voir et tu me diras.

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