NU ALIGOTE
Plusieurs cépages entouraient le château. Un océan de vignes composait le domaine du Marquis. Il produisait son propre vin. Ses cépages aligotés, rouges et blancs, servaient à la fabrication du Bourgogne tant apprécié de la Marquise.
C'était la fin des vendanges. Ce matin-là, ils avaient fait seller les chevaux pour se rendre à l'ancienne chapelle où étaient entreposées de grandes cuves de bois à demi remplies de grains. Dans l'une d'elles, deux femmes en combinaisons légères relevées jusqu'en haut des cuisses, piétinaient le raisin à la chair gorgée de jus. Ce jour-là, c'était le rouge qu'elles foulaient aux pieds.
Le Marquis faisait bien les choses : une musique soutenait leur foulage et les aidait à garder un rythme régulier. Le Boléro de Ravel les accompagnait. Il sortait en fond sonore des hauts-parleurs installés aux quatre coins de l'ancienne chapelle, maintenant entrepôt. Les femmes semblaient ravies de travailler en musique.
Elles étaient nues sous le fin tissu blanc devenu transparent et humide de leur sueur, collant à leurs seins généreux, à leurs fesses rondes, et moulant leurs tétons, leurs corps. Il émanait d'elles une sensualité enivrante...
Aucunement gênées par la présence des deux visiteurs, au contraire, elles adoptaient des poses lascives, provocantes. Bouches rieuses, mains sur les hanches jouant à se découvrir un peu plus, tirant sur les combinaisons collées à la peau...
-- Ces cuves que vous voyez, sont celles où s'épanouit chaque année, ce vin que vous affectionnez tant... commença le Marquis.
-- Oh mon cher époux, souffrez alors que je me joigne à sa création et que j'y apporte ma contribution.
-- Faites donc belle Donatienne, la "part des anges" n'en sera que plus subtile, murmura l'homme.
-- Noblesse oblige... dit la femme avec malice.
Sur ces paroles, elle ôta sa tenue de cavalière : bombe, bottes, jaquette, chemisier et soutien-gorge tombèrent vite au sol...
Elle n'était plus vêtue que de son collant d'équitation qui moulait divinement ses jambes. D'un mouvement gracieux, elle le fit glisser au bas de ses chevilles nues, l'enjamba, puis se dirigea lascivement jusqu'à la cuve où l'attendaient les deux créatures à la combinaison maculée. La voyant arriver, elles enlevèrent cet habit qui ne faisait que les gêner dans leur ballet sabbatique.
La Marquise était entrée dans la danse et foulait le raisin avec entrain, comme une danseuse de flamenco, dessinant courbes et gestes vifs de ses bras et de ses mains voletant autour d'elle.
Les trois femmes, telles des bacchantes, prêtresses de Bacchus célébrant les bacchanales, se donnaient corps et âme à cette transe orgiaque. Les mains effleuraient les corps, caressaient les seins, les fesses... Les peaux se frôlaient, tachées de raisin. Les langues goûtaient ce mélange de sueur et de jus carmin... Les effluves enivrantes qui se dégageaient n'étaient pas sans effet sur les trois créatures éclaboussées de pourpre.
La musique s'était tue.
La cuve était à présent remplie d'un liquide assez épais qui leur arrivait aux genoux.
Le foulage aux pieds était achevé.
Pendant ce temps, le Marquis avait déroulé sur le sol une large bande de papier toilé. Il prit la main de son épouse, quasiment recouverte de jus rouge, et la mena sur la bande. Sans dire un mot, il la fit s'allonger à plat ventre sur le papier. Après quelques instants, le Marquis l'aida à se retourner pour la placer sur le dos. Il ouvrit les cuisses maculées et la pénétra doucement. Il lui fit l'amour sous les yeux des deux autres femmes, assises sur le bord de la cuve. Elles s'embrassaient, se caressaient, quelques rires vite étouffés s'échappaient...
L'homme, habité d'une énergie inépuisable, pilonnait sa Marquise. Elle criait, ivre de plaisir, se tortillant sous le corps qui la couvrait.
Le Marquis était un amant-artiste à ses heures.
Il se retira, releva la Marquise et contempla le résultat. Il venait de créer l'une de ses plus belles œuvres. Le corps de la Marquise était "imprimé" sur le papier toilé, à des endroits plus ou moins marqués. On devinait les seins aux deux cercles parfaits qu'ils avaient laissé. Les courbes des hanches, les mains hésitantes, un peu déformées. Leurs ébats aussi étaient sous leurs yeux... Le jus pourpre avait dessiné leur luxure et les formes obtenues étaient imprégnées de leur plaisir.
Les nobles "artistocrates" aimaient beaucoup l'art brut.
Le tableau, fin prêt pour être encadré, trouva sa place dans la collection privée de Monsieur le Marquis de Châteauneuf.
Il le nomma: Nu aligoté.
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