Enfin, il arriva sur l’estrade. La pochette de mon album ainsi que son visage juvénile pour un papy-boomer étaient affichés sur deux banderoles qui encadraient la scène.
La journaliste venue écrire son article pour un magazine musical était au premier rang et avait une vue d’ensemble. La personne chargée de l’interview était sur le même fauteuil rouge à côté de l’artiste. Après une présentation succincte de son parcours, il commença à poser ses questions. De sa voix calme, le principal concerné y répondait en jouant de ses mains pour appuyer ses propos. Pourquoi cette idée de collaboration avec des noms plus ou moins connus du genre musical, comment ça s’est passé, ce qu’il a aimé dans chacune des personnes qu’il a côtoyées, etc…
La jeune journaliste en herbe avait son dictaphone allumé et prenait des notes sur un calepin avec son stylo quatre couleurs. Sa voix douce, chaleureuse et posée, amplifiée par le micro sans fil qu’il tenait entre ses longs doigts souples et témoins de son âge avancé, pénétrait les oreilles de la jeune fille qui s’en retrouva hypnotisée. Elle avait déjà vu l’artiste dans des magazines spécialisés et entendu quelques-unes de ses interviews à la radio. Il s’était fait discret depuis environ six longues années, et l’album dont il parlait signait son retour. Et elle trouvait l’homme encore plus chaleureux en vrai.
Son regard croisa le sien pendant que l’interviewer déblatérait sur les records battus par le musicien. Son regard marron se planta dans celui de la journaliste. Elle se sentait comme une cible verrouillée dans un viseur. Elle lui fit un petit sourire qu’il lui rendit. Elle était repérée.
À l’image de sa voix, son regard était doux. Mais avec une petite étincelle au fond de ses pupilles. À moins que ce soit son imagination trop sensible qui lui joue des tours. Qu’importe… Elle se sentait comme prisonnière de ses yeux. Sa main libre qui appuyait ses réponses voltigeait devant son allure décontractée. Ses jambes habillées d’un jean noir étaient croisées de façon nonchalante. Son pied hochait de temps à autre. La journaliste avait les yeux rivés sur cette main qui semblait si agile sur un instrument. Elle ne prenait plus aucune note et se reposait totalement sur son dictaphone qui enregistrait le moindre son. À nouveau, son regard la saisit. Cette seconde s’étira, longuement…
— Je lui ai tapé dans l’œil ou bien ? Non impossible. Soit réaliste ma fille, vous devez avoir au moins quarante ans d’écart… Et il n’est pas du genre Jimmy Page. Il a été avec des monuments du cinéma. Qu’est ce qu’il pourrait désirer une journaliste débutante ?
Et pourtant, son imaginaire lui renvoyait des images de plus en plus irréelles. Une interview, seul à seul… Quelque chose de très banal dans son métier. Mais son esprit lui faisait faire cette interview dans un prisme érotique. Et si ce face-à-face fantasmé était interrompu par une force inexplicable qui avait le pouvoir de rapprocher les corps et d’assouvir leurs bas instincts ? Un homme né à la fin des années quarante irrésistiblement attiré par la jeunesse et la vivacité de cette jeune fille tel un vampire assoiffé de sang jeune, et une jeune adulte magnétisée par cet homme d’expérience aux doigts sans aucun doute agiles sur la peau et capable de trouver la moindre zone érogène. Voire de transformer tout son corps en une seule et même zone sensible à ses caresses.
— Une telle longueur, ça doit trouver le point G facilement… Se dit-elle avant de serrer ses cuisses.
Elle sentait ses lèvres intimes palpiter dans son jean si près du corps que la couture entre ses cuisses pressa son petit bouton de chair qui commençait à s’éveiller. Elle eut un soupir à peine perceptible, mais fait comme si de rien n’était. D’autres journalistes de magazines concurrents étaient présents, et elle portait sur elle l’image de celui pour lequel elle travaillait. Au sens propre avec sa carte de presse comme au sens figuré. Elle ne voulait pas donner du grain à moudre aux concurrents. Toujours reposée sur son dictaphone, elle continuait de se laisser dicter par son esprit tout en fixant inlassablement l’artiste qui racontait en détail un de ses morceaux composés avec une de ses vieilles amies.
— On passe plus de temps à toucher ton téléphone que son ou sa partenaire. Dit-il avant d’expliquer ses propos sur le thème de la place de la technologie dans la vie de tous les jours.
Elle lui avait semblé voir qu’il l’avait fixée à la seconde où il a dit le mot « toucher ». Son cœur avait presque manqué un battement. Avait-elle réussi à faire susciter en l’artiste le même désir qu’il avait créé en elle ? Avait-il les mêmes images sensuelles qu’elle ?
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